C'est qui le patron?!, un modèle marketing dont les marques feraient bien de s’inspirer.

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PAR ISABELLE CHATILLON

TEMPS DE LECTURE : 6 mn

Marque alimentaire créée en 2016 sur fond de crise du lait, C’est qui le patron?! rencontre un véritable succès auprès des consommateurs. Son produit phare, le lait, s’est vendu 4.5 fois plus que l’entreprise le prévoyait, à plus de 80 millions de litres. Avec seulement 1% de part de marché sur le lait et un gamme de 15 produits à date, C’est qui le patron?! est peut-être en passe d’imposer un nouveau modèle plus équitable et plus responsable à la distribution, mais peut-être pas uniquement.

A l’instar d’un Veja, la marque a construit un modèle sans publicité payante (ni force de vente) qui pourrait devenir un cas d’école pour les marketeurs, tant il est porté par la sacro-sainte communauté d’ambassadeurs dont toutes les marques rêvent.

Comment une nouvelle marque indépendante a-t-elle su émerger aussi vite dans un marché si concurrentiel ?

UN ADN FORT DE MARQUE UTILE

Il est important de rappeler que C’est qui le patron?! est tout d’abord un projet avant d’être une marque, dont le point de départ est la juste rémunération des producteurs, et la co-création du cahier des charges avec les consommateurs le levier principal. La transparence et la qualité, valeurs fortes de la marque, en découlent. C’est qui le patron?! se positionne donc dès le départ comme une marque utile. Sa proposition de valeur est clairement énoncée (vous payez un peu plus cher votre produit pour faire vivre décemment les producteurs et en échange vous achetez un produit de qualité dont vous connaissez l’origine), et même co-signée par le consommateur dans un contrat de confiance qui va jusqu’à le placer comme garant de la bonne tenue du cahier des charges.

L’offre CQLP répond ainsi parfaitement aux nouvelles attentes de consommation : partage de valeur, connaissance de l’origine des produits, production locale et plus respectueuse de l’environnement, un discours de preuves compréhensible & tangible, et une relation horizontale avec ses clients. Et c’est ce fil rouge clairement identifiable dans toutes les actions de communication de la marque qui est une première clef de succès selon moi.

UN MODELE GLOBAL DE CO-CREATION & DE CO-DECISION

Au-delà du contrat minimum Qualité / Prix, CQLP propose une vision élargie de la consommation à travers un projet durable qui engage les consommateurs-citoyens. Et c’est sur ce dernier point que la marque innove véritablement.

Via un questionnaire en ligne, le consommateur définit la rémunération et les conditions de production en fonction du prix qu’il voit évoluer à chacun de ses choix. En associant les consommateurs à la définition du cahier des charges et donc du prix, CQLP se dote d’un argument commercial fort pour recruter ses clients (achetez le produit que vous avez vous même défini), faisant le pari de l’intelligence collective et de la cohérence entre le discours et les actes d’achat des consommateurs. L’outil (d’une grande simplicité quand on y pense) possède par ailleurs une forte valeur pédagogique permettant à tous de comprendre comment se définit le prix d’un produit alimentaire et ainsi de sensibiliser à une consommation plus responsable. Il a d’ailleurs reçu le prix ID18'Or de l'innovation digitale Catégorie Société de Petit Web & la marque est 22ème au classement Top marques digitales Kantar 2018.

Enfin, il faut préciser que la marque repose sur une double structure, en partie coopérative : la SCIC (1) La société des consommateurs et la SAS C’est qui le patron?! (à qui revient 5% du CA). La gouvernance se veut donc culturellement dans le dialogue avec ses sociétaires.

A travers cette approche intrinsèquement collaborative, la marque pose son 2ème pilier de communication.

UNE MARQUE FEDERATRICE PORTEE PAR UNE COMMUNAUTE D’AMBASSADEURS

Le développement commercial ultra rapide de la marque a certes été aidé par le soutien décisif de distributeurs comme Carrefour, mais il n’en est pas moins le résultat du rôle de commerciaux et d’ambassadeurs que la marque fait jouer à sa communauté : interpellation des chefs de rayon et directeurs de magasin, identification des lieux où les produits sont disponibles, et relais de l’initiative. A cela, il faut ajouter la couverture médias traditionnels importante dont le projet bénéficie, grâce notamment à la figure emblématique d’un de ces fondateurs, Nicolas Chabanne. Porte parole infatigable et très bon orateur, il incarne, voire personnifie, le soutien de la marque aux producteurs, et sait raconter brillamment son histoire. Le storrytelling est toujours limpide et cohérent. Il est indubitablement le 3ème pilier de communication qui a largement permis à la marque de faire connaître son offre.

En revanche, la présence de la marque sur les réseaux sociaux se développe plus lentement en comparaison de son succès commercial (38 000 fans sur Facebook, 13 000 followers sur Twitter & à peine 3 000 sur Instagram). Elle n’y a pas encore créé un dialogue similaire à celui avec ses sociétaires (entre 4 et 20 000 votes sur les cahiers des charges produit). Les contenus sont essentiellement “corporate” et portent sur la présence dans la distribution, les lancements produits et la couverture média. Le niveau d’interactions sur les posts est très variable : d’une petite centaine de likes/ commentaires/partages à près de 4 000. Mais la marque accélère fortement sur le digital. CQLP développe depuis quelques mois une véritable stratégie de contenus en capitalisant sur le format vidéo (jusqu’à 43 000 vues sur Facebook pour leur vidéo d’une animation en magasin) et en lançant bientôt sa propre web TV “La chaîne des consos et des citoyens”. Avec des fabricants, des distributeurs et des producteurs pour invités, co-animés par des sociétaires, et diffusés en Facebook live, ces contenus prolongeront la posture de dialogue entre toutes les parties prenantes qui fait l’ADN de la marque et se crée une nouvelle opportunité pour faire témoigner & intervenir ses consommateurs. Au vu d’un pilote d’émission testé il y a quelques mois, les contenus porteront sur des sujets de fond, dans des formats longs (peu utilisé sur Facebook).

Une application mobile a également été lancée en Août dernier pour géolocaliser les produits et envoyer automatiquement des lettres aux directeurs de magasins afin d’étendre la distribution.

UN MODELE DECLINABLE ? SCALABLE ?

Si le modèle global C’est qui le patron?! est difficilement déclinable en tant que tel (notamment pour des marques déjà installées qui n’ont pas cette finalité sociétale comme point de départ), il n’en reste pas moins que les attributs de son succès devraient interroger les marketeurs tant il concentre les tendances actuelles :

  • Proposition de valeur élargie au-delà du seul produit et communication claire, visible & lisible autour d’un axe RSE principal (ici le commerce équitable) qui permet à la marque de se différencier

  • Transparence sur le modèle business et invitation des consommateurs à découvrir ce qu’il y a derrière le produit pour créer un véritable lien de confiance

  • Proximité et dialogue avec les consommateurs positionnés comme véritable partie prenante, mais aussi avec les producteurs, dans une réelle volonté de remettre l’humain au centre de l’histoire

  • Co-création de l’offre et du contenu

  • Identité de marque simple qui sous-tend une priorité donnée au fond plus qu’à la forme (même si la grande visibilité des packs monochromes en rayon est tactiquement bien vu).

A l’heure où les consommateurs se méfient des entreprises tout en attendant d’elles qu’elles contribuent à l’évolution positive de la société, C’est qui le patron?! démontre qu’une marque indépendante inconnue du grand public peut émerger avec un modèle équitable & durable, sans publicité, si son offre est pertinente et sa promesse de marque sincère & cohérente.

Si nombre de grands groupes et petites marques assument de plus en plus cette responsabilité élargie de l’entreprise (comme Carrefour, Danone ou L’Oréal) et commencent à “ouvrir les portes” de leur chaîne de production (comme Fleury Michon ou Veja), l’originalité et la raison du succès CQLP tient selon moi à son modèle fondé sur le partage de la valeur et sa posture relationnelle résolument dans le dialogue où la marque pense avant tout comme ses consommateurs.

Il y a peu à parier que C’est qui le patron?! atteigne ou veuille atteindre des parts de marché considérables en France. Ce n’est pas le but, et le modèle n’y survivrait certainement pas. En revanche, la marque a ouvert deux pistes de développement : la labellisation de produits fabriqués par les distributeurs & industriels de l'agroalimentaire, et l’international avec l’ouverture de 8 nouveaux marchés (Belgique, Espagne, Grèce, Brésil, Maroc, Italie, USA et Allemagne). A suivre…


(1) Société Coopérative d’Intérêt Collectif

Photo ©C’est qui le patron?!